La peinture, comme matériau et comme pratique essentielle est restée le moteur premier de création. Cette pratique imperturbable m’a amené à me questionner sur la façon de maîtriser la couleur et donc sur l’appréhension et la perception de mon travail.
Naissant des couches successives, des superpositions de touches, la matière exprime sa couleur. Je m’efforce d’en trouver la vibration, le rythme, la musicalité même qui entrent en résonance au moment de la création, accord parfait ou dissonant. Aujourd’hui, la couleur s’impose au cœur de ma démarche, elle prend du poids, devient matière mentalement palpable. L’affirmation d’une teinte est souvent le refus de dix autres possibles. Équilibre précaire et variation colorée d’où semble vouloir sortir une sourde lumière improbable appellent le regard abandonné à la toile. L’émotion prend corps, se laisse aller à la puissance d’un rouge, la profondeur d’un bleu, le poids d’un ocre ou la richesse d’un gris. La couleur, seul refuge dans ce lieu sans histoire ni anecdote, devient une évidence, le reflet de chaque instant. L’œuvre est là, seule, reconnue pour elle-même, engageant un dialogue où il est question de silence, de matières impalpables, de lumières feutrées et de sourdes aspirations.
La couleur, maintenant omniprésente, s’étale sur la toile comme pour refuser toute place au motif. Le seul possible est réduit à l’état de halo, un trait parfois, dernière concession à une figuration oubliée, ultime référence au travail passé. Les teintes sombres enfouissent les repères abandonnés à la masse colorée ; sourdes, elles voilent la lueur d’un fond laissé trop vif; lumineuses parfois, elles réveillent une couleur renonçant à se taire. La couleur domine, elle détient en elle la solution, de teintes en demi-teintes successives la toile prend corps, s’affirme, trouve sa vérité, finit par exister, silencieuse sur les murs de l’atelier, d’une galerie ou d’un amateur sensible à sa musique. Alors lentement intervient la notion de temps dans le processus de création, puis dans la perception de la peinture, tant les filtres accumulés demandent une relecture, une envie de se laisser emmener dans la toile encore et encore. L’imposante évidence du moment passé à regarder, à pénétrer la matière, à se fondre dans la couleur donne à la toile toute sa dimension.
Cette détermination à imposer une peinture hors anecdote, au travers des vibrations, des transparences, du dynamisme avec lequel la matière parfois est posée justifie la confrontation aux autres et nourrit le plaisir de peindre. Bien que la technique n’ait que peu d’intérêt dans mon travail, n’étant à mes yeux qu’un moyen maîtrisé, elle n’en reste pas moins importante en tant que mode d’expression. Entre huile et pastel, le traitement et donc la perception diffèrent… L’huile renferme en elle une certaine volupté. Sa capacité à accrocher la lumière dans les teintes les plus sombres, à jouer de ses transparences montre sa subtilité à chaque instant. Sans contrainte ni désir de virtuosité, c’est pour moi le chemin le plus court pour aller de la toile blanche à sa résolution.
Parallèlement, et depuis quelques années, je travaille le pastel sec sur le papier ; utilisé parfois jusqu’à l’empâtement, il dévoile dans sa matité des transparences insoupçonnées. Le résultat n’est souvent pas si éloigné de celui obtenu à l’huile, il y a là peut-être quelque chose de plus frontal, de plus spontané de plus immédiatement accessible. Il y a, dans ce mélange des genres la volonté, non pas d’ouvrir de nouvelles portes mais plutôt de creuser un sillon plus profond, d’enrichir mon travail d’un éclairage différent.
A chaque toile s’impose le choix du format, petit ou grand, posé verticalement, vestige probable des hommes debout, omniprésents hier sous mes pinceaux. Sur quelques toiles carrées l’espace s’étale laissant au signe récurrent le loisir de chercher son centre. Entre la sensation d’immersion totale dans le sujet et la nécessité à le dominer, le plaisir s’installe et j’aime à me l’imaginer communicatif.
Philippe Fontaine
18 avril 2009
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